Joséphine Baker
Freda Josephine McDonald, dite Joséphine Baker, est une chanteuse, danseuse, actrice, meneuse de revue et résistante française d’origine américaine, née le 3 juin 1906 à Saint-Louis (Missouri, États-Unis) et morte le 12 avril 1975 à Paris (France).
Vedette du music-hall et icône des années folles, elle devient française en 1937 après son mariage avec Jean Lion, un courtier en sucre industriel. Durant la Seconde Guerre mondiale, elle est une honorable correspondante des services secrets français et se produit souvent gratuitement en Afrique du Nord devant les troupes alliées et termine la guerre comme lieutenante de l'Armée française de la Libération. En 1946, elle reçoit la médaille de la Résistance française.
Elle met ensuite sa grande popularité au service de la lutte contre le racisme et pour l’émancipation des Noirs, en particulier en soutenant le mouvement américain des droits civiques. Le 28 août 1963, lorsque Martin Luther King prononce son discours I have a dream lors de la marche sur Washington pour l'emploi et la liberté, elle se tient à ses côtés en uniforme de l'Armée de l'air française et sera la seule femme à prendre la parole depuis le Lincoln Memorial.
Le 18 août 1961, dans le parc du château des Milandes en Dordogne, Joséphine Baker est décorée de la Légion d’honneur et de la croix de guerre.
En 2021, près de cinquante ans après sa mort, elle entre au Panthéon, devenant ainsi la sixième femme et la première femme noire à rejoindre le « temple » républicain.
Jeunesse
Freda Josephine McDonald, appelée plus tard de son nom de scène Joséphine Baker, naît le 3 juin 1906, aux États-Unis, dans le Missouri[4]. Sa mère, Carrie McDonald, est une musicienne et danseuse ayant des origines afro-américaine et amérindienne[4],[5],[6], fille d'une esclave[7]. Son père probable, Eddie Carson, est un musicien de rue itinérant aux origines espagnoles[8]. Tous deux ont monté ensemble un numéro de chant et de danse, mais le père abandonne sa famille en 1907[9], sans avoir reconnu Joséphine[4]. Sa mère se marie ensuite avec un ouvrier, Arthur Martin, avec qui elle a trois enfants : Richard, Margaret et Willie Mae[10],[4].
La jeune Joséphine passe une partie de son enfance à alterner l'école et les travaux domestiques pour des gens aisés chez qui sa mère l'envoie travailler[11]. Sa famille étant très pauvre, son salaire aide à nourrir la fratrie dont elle est l’aînée[10]. Finalement, Joséphine quitte l’école à 13 ans, en février 1920, et s'engage dans un mariage qui ne dure que quelques mois, durant lequel le couple est hébergé dans la famille Martin[4],[12].
Débuts au music-hall
Artiste de rue
Joséphine — qui danse depuis qu’elle est toute petite[13] — rejoint en 1920, à l'issue de son mariage, un trio d'artistes de rue appelé le Jones Family Band[12],[a]. Au moment où leur tournée s'arrête à Philadelphie, Joséphine fait la rencontre de William Howard Baker[14]. Elle l'épouse en 1921, s'installe avec lui et en prend le nom[14]. Pour gagner sa vie, elle danse au Standard Theater où elle gagne dix dollars par semaine[15].
Danseuse Ă Broadway
Mais Joséphine Baker voit grand, et l’envie de danser à Broadway la pousse — tout juste âgée de 16 ans — à quitter son second mari pour aller tenter sa chance à New York. Une fois sur place, elle met peu de temps à se présenter au music-hall de Broadway, sur la 63e Rue, le Daly's 63rd Street Theatre (en). Là , elle essuie plusieurs refus de la part du directeur avant d’enfin se voir offrir un rôle sommaire. Elle rejoint donc la troupe de la comédie musicale Shuffle Along, un spectacle populaire à la distribution entièrement noire. Au bout de deux ans de tournée, elle change d’allégeance et s’associe aux Chocolate Dandies (en)[16], qu’elle quitte à leur tour pour entrer au Plantation Club où elle fait la rencontre de Caroline Dudley Reagan. Cette mondaine, épouse de l’attaché commercial de l’ambassade américaine à Paris, Donald J. Reagan, voit en Joséphine Baker un grand potentiel. Elle lui offre donc un salaire de 250 dollars par semaine si celle-ci accepte de la suivre en France où Reagan veut monter un spectacle dont Joséphine Baker sera la vedette et qui fera d’elle une star : la Revue nègre[17].
Carrière française
L'année 1925 révèle l'artiste aux yeux du public français[18],[19]. Pour jouer la Revue nègre au théâtre des Champs-Élysées, Joséphine Baker et sa troupe effectuent la traversée New-York-Cherbourg du 15 au 22 septembre sur le Berengaria[20],[21]. La première représentation du spectacle a lieu le 2 octobre 1925[6],[21]. Joséphine Baker y interprète un tableau baptisé La Danse sauvage[22] : dans un décor de savane, elle apparaît dansant le charleston quasiment nue, vêtue de sa désormais célèbre ceinture de bananes[6],[23]. Pour elle, cette arrivée en France sera vécu comme une libération. Elle dira à ce sujet : « Un jour, j’ai réalisé que j’habitais dans un pays où j’avais peur d’être noire. C’était un pays réservé aux Blancs. Il n’y avait pas de place pour les Noirs. J’étouffais aux États-Unis. Beaucoup d’entre nous sommes partis, pas parce que nous le voulions, mais parce que nous ne pouvions plus supporter ça… Je me suis sentie libérée à Paris »[24],[25].
The Original Charleston : couverture de partition illustrée par Roger de Valerio, 1926.
Joséphine, après plus d’une centaine de représentations en France et à l’étranger, casse son contrat et accepte de signer, en 1927, pour la première fois avec le théâtre des Folies Bergère pour une revue où elle joue un des premiers rôles. Dans « La Folie du Jour », tandis que le danseur sénégalais Féral Benga joue du tam-tam[26], elle porte plumes roses et ceinture de bananes, visible aujourd’hui au château des Milandes. Elle est accompagnée d’un guépard dont l’humeur fantasque terrorise l’orchestre et fait frémir le public. Cette même année, la jeune star se lance dans la chanson et, suivant les conseils de son nouvel impresario et amant, Giuseppe Abattino (dit « Pepito »), elle participe au film La Sirène des tropiques. Giuseppe ouvre le club « Chez Joséphine » et organise la tournée mondiale de la chanteuse en 1928.
Giuseppe Abattino était un tailleur de pierre originaire de Sicile. Il fut souvent qualifié de « gigolo ». Sa liaison avec Joséphine Baker durera dix ans, de 1926 à 1936[27]. En plus d’être son impresario, il jouera le rôle de manager et sera son mentor pendant toute la période de son ascension.
Dans le même temps, elle devient l’égérie des cubistes qui vénèrent son style et ses formes, et suscite l’enthousiasme des Parisiens pour le jazz et les musiques noires. À cette époque, elle rencontre Georges Simenon, qu’elle engage comme secrétaire et qui sera son amant[
Actrice du mouvement de la Renaissance de Harlem
La carrière de Joséphine Baker était intimement liée au mouvement de la Renaissance de Harlem dont elle fut une militante acharnée[29]. Mouvement d’abord littéraire qui a pris sa source à Harlem, le mouvement de renouveau de la culture afro-américaine, dans l’entre-deux-guerres, prônait l’émancipation des Noirs américains confrontés à la ségrégation raciale depuis l'abolition de l'esclavag en 1865. Il regroupait des intellectuels et écrivains comme Alain Locke ou Marcus Garvey, des mécènes tels qu’Arthur Schomburg, surnommé le « père de l'histoire noire américaine », des photographes et sculpteurs, ainsi que des musiciens comme Louis Armstrong, Duke Ellington ou Fats Waller.
Les lieux emblématiques du mouvement de Renaissance de Harlem comptaient le Cotton Club ou l'Apollo Theater[30
Danseuse vedette de la Revue nègre

Après la Première Guerre mondiale, le regard porté sur les Noirs en France se modifie, et dans le Paris des années folles, la lumière commence à briller sur les femmes noires, l'esthétique nègre devient à la mode. Ainsi, en 1919, est organisée la première exposition d’art nègre[31], un ensemble d'œuvres artistiques non occidentales, sources d'inspiration pour les Fauves et les Cubistes[32], dès 1907, à travers le musée d'Ethnographie du Trocadéro[33].
Sur les conseils du peintre Fernand Léger, André Daven, administrateur du théâtre des Champs-Élysées, décide de monter un spectacle entièrement exécuté par des Noirs : la Revue nègre. L’Américaine Caroline Dudley compose la troupe à New York, constituée de treize danseurs et douze musiciens, dont Sidney Bechet, et Joséphine Baker en devient la vedette parisienne[34],[35]. La prestation initiale du groupe d'artistes noirs étant jugée « pas assez nègre » par les commanditaires du spectacle, il est proposé à la danseuse américaine de se présenter nue sur scène. D'abord indignée, Joséphine Baker, âgée de 19 ans, se résigne à se produire seins nus, une ceinture de plumes à la taille, conformément à l'imagerie du bon sauvage africain en vogue dans l'Empire colonial français[36]. L'incarnation par Joséphine Baker de cette femme noire, érotique et sauvage comme l'exigent les stéréotypes coloniaux et l'exotisme fantasmé du public français des années 1920, assure à la Revue nègre un succès immédiat. Le spectacle se déroule à guichets fermés[36]. L’artiste Paul Colin réalise l’affiche de la revue, visible au musée national de l’histoire de l’immigration[37] : « Joséphine Baker y apparaît dans une robe blanche ajustée, les poings sur les hanches, les cheveux courts et gominés, entre deux hommes noirs, l’un portant un chapeau incliné sur l’œil et un nœud papillon à carreaux, l’autre arborant un large sourire ». L’œuvre, à l’esthétique Art déco, un peu caricaturale dans ses traits, parvient néanmoins au moyen de ses déformations cubistes à rendre perceptible le rythme syncopé du jazz, d’apparition récente en France à l’époque[35],[34].
De nombreux artistes afro-américains séjournent alors en Europe, à l’instar des peintres Lois Mailou Jones ou Henry Ossawa Tanner, des sculpteurs Augusta Savage ou Nancy Elizabeth Prophet, des poètes comme Langston Hughes ou des romanciers comme Claude McKay, et trouvent à Paris le lieu idéal pour prolonger la Renaissance de Harlem, appréciant une société plus libérale et l'absence de ségrégation[35].
De la chanson J'ai deux amours Ă la Seconde Guerre mondiale
Henri Varna, directeur du Casino de Paris par l’intermédiaire de son imprésario Émile Audiffred, l’engage pour mener la revue de la saison 1930-1931 et lui achète un guépard, nommé Chiquita[38]. En 1931, elle remporte un succès inoubliable avec la chanson J'ai deux amours composée par Vincent Scotto[39].
Entre 1928 et 1947, elle vit dans la villa « Le Beau-Chêne » au Vésinet.
Joséphine Baker lors d'une distribution de pot-au-feu en 1932.
Après la Grande Dépression de 1929, le chômage explose en France dès 1931 : elle tient durant cette période un engagement social en participant à des soupes populaires pour les clochards de Paris[40] ; dans le 18e arrondissement de Paris, en 1932, elle est la marraine du Pot-au-feu des Vieux, œuvre qui distribue des pot-au-feu[41],[42] aux personnes âgées dans le besoin — un précurseur des Restaurants du Cœur[43].
Quelques rôles lui sont proposés au cinéma par des cinéastes, tel Marc Allégret. Elle tourne ensuite dans deux films qui lui sont consacrés et dont Abattino écrit le scénario : Zouzou, avec Jean Gabin et Yvette Lebon, puis Illa Meery, qui sera, un temps, la maîtresse du chef de la Gestapo française, Henri Lafont, et la fameuse chanson Fifine (composée par Vincent Scotto, Henri Varna et Émile Audiffred) puis Princesse Tam Tam qui ne rencontrent pas le succès espéré. Sur les planches du music-hall, en revanche, elle rassemble un plus large public en chantant et en dansant même le tango Voluptuosa de José Padilla Sánchez.
En octobre 1935, elle s'embarque à bord du paquebot Normandie pour une tournée d'un an aux États-Unis. Elle n'y rencontre pas la réussite escomptée. L'Amérique est sceptique et certains lui reprochent de parler parfois en français, ou en anglais avec un accent français. Pepito et Joséphine Baker se séparent après l’échec de ces Ziegfeld Follies.
Elle rentre en France en mai 1936, à nouveau à bord du Normandie, où elle se fait beaucoup d’amis. Elle acquiert la nationalité française[39] en épousant, le 30 novembre 1937 à Crèvecœur-le-Grand, le jeune courtier en sucre Jean Lion[44],[22] (la société Jean Lion et Compagnie existe encore), Giuseppe Abattino étant mort d'un cancer à l'automne 1936. Jean Lion est juif et aura à souffrir des persécutions antisémites. En 1937, le nouveau couple s'installe au château des Milandes à Castelnaud-Fayrac (aujourd'hui Castelnaud-la-Chapelle) en Dordogne. Elle surnomme la demeure son « château de la Belle au Bois dormant ». Elle reprend les tournées organisées par Émile Audiffred sous le label Audiffred & Marouani
Seconde Guerre mondiale
Au début de la Seconde Guerre mondiale, en septembre 1939, par le biais du frère de son imprésario Daniel Marouani, Joséphine Baker rencontre un officier de la section Allemagne des services de contre-espionnage français, Jacques Abtey, dont elle devient honorable correspondant. Elle rapporte donc à Abtey, devenu son officier traitant, les informations qu’elle peut glaner dans les soirées mondaines. Par exemple, une semaine après son engagement, elle lui fait savoir qu’elle a appris à l'ambassade d'Italie que Benito Mussolini vient de décider de jouer Adolf Hitler contre la France[46]. Selon Guy Penaud, il ne semble pas qu’elle ait réussi à collecter des renseignements de très grande valeur[47]. Elle met également son talent musical à contribution en chantant pour les soldats alors au front[47]. Joséphine participe également en tant qu’IPSA (infirmière pilote secouriste de l’air), affectée à la Croix-Rouge à la réception de réfugiés belges et hollandais[48].
Après la bataille de France, elle reste en lien avec Jacques Abtey, dont la position est souvent trouble, mais qui a gardé des liens avec les services de contre-espionnage dirigés par Paul Paillole. En raison de l'occupation allemande et de l'armistice du 22 juin 1940, ces services sont camouflés en Travaux ruraux[49],[50],[51]. Jean-Luc Barré a pu écrire que Joséphine Baker a travaillé « avec les services secrets de la France Libre »[52], formulation nécessairement erronée, les services secrets de la France de Vichy et le Bureau central de renseignements et d'action de la France Libre n'ayant fusionné — péniblement — qu'à partir de 1943[53]. Guy Penaud a montré qu'aucun contact n'a existé avant 1943 entre Jacques Abtey et la France libre devenue en 1942 la « France combattante »[54]. Il n'en est pas moins vrai qu'Abtey restera aux côtés de Joséphine Baker jusqu’à la Libération en France puis en Afrique du Nord[52].
Après l'armistice du 22 juin 1940, Joséphine regagne son château des Milandes où Abtey la rejoint avant de renouer avec Paillole, établi à Marseille[51]. Le 25 novembre 1940, Joséphine part pour le Portugal en compagnie de Jacques Abtey. Paillole a remis à ce dernier un faux passeport au nom de Jacques Hébert « exerçant la profession d’artiste ». Le couple est censé être en transit pour le Brésil, où Joséphine Baker aurait un contrat à honorer. En fait, Abtey est missionné pour prendre contact avec l'Intelligence Service à Lisbonne. Paillole a évoqué un contact avec « Bill » Dunderdale[50],[49]. En fait, ce dernier était à Londres et c'est le représentant du MI6 à Lisbonne, un certain Bacon, alias Joseph Richmond Stopford, que le couple Baker-Abtey rencontre[54]. Abtey aurait remis à Bacon un ensemble d'informations écrites à l'encre sympathique, concernant les unités militaires allemandes en France[55].
À son retour de Lisbonne, Joséphine Baker revient à Marseille, où elle donne une série de galas organisés par Émile Audiffred, et du 24 décembre au 17 janvier 1941, elle joue le rôle de Dora dans La Créole à l’opéra de Marseille[56]. Le 17 janvier 1941, elle s'embarqua sur un paquebot à destination d’Alger avec 28 malles et cages (pour ses divers animaux (chien, singes, oiseaux …)[57]. On ne sait pas clairement si cette migration en Afrique du Nord fut motivée par des considérations professionnelles[56] ou si le couple Baker-Abtey y aurait été missionné par Paillole[58].
Le temps de donner quelques galas à Alger, Joséphine partit pour Casablanca, au Maroc, pour obtenir un visa auprès du consulat du Portugal où elle projetait de faire une tournée. Finalement, elle s’installe à Marrakech, d’abord à La Mamounia, puis dans un riad de la Médina. À Marrakech, elle fréquente assidûment Si Mohammed Menebhi, fils de l’ex-grand vizir[57].
De son côté, Abtey, dont on ne sait pas vraiment s’il travaille pour Paillole ou pour les Anglais, s’installe à Casablanca comme employé à la Compagnie chérifienne d’armement[57]. Comme l’écrit Guy Penaud[57]:
